dimanche 26 octobre 2014

Une utopie - Discours 3

    UNE UTOPIE

      "projet d'organisation politique idéale, considéré comme irréalisable"


discours n°3




La civilisation, c'est l'état d'évolution d'une société, tant sur le plan technique, intellectuel, politique que moral. La civilisation développe des normes de comportements en société, ce comportement civilisé est celui qui permet aux hommes de vivre ensemble pacifiquement.

Notre civilisation est née sur les restes de l'Empire Romain et a longtemps été appelée Judéo-chrétienne. Cette dénomination vient du moyen-age car à l'époque la religion était omniprésente. On parle maintenant de civilisation occidentale. Mais on pourrait tout aussi bien l’appeler de manière plus explicite : « la civilisation des Marchands ».

Les Marchands sont des individus qui accumulent des richesses et spéculent avec.
C'est à dire qu'ils espèrent un bénéfice en anticipant sur l' évolution des cours des biens ou des matières premières. Ils ne produisent rien, ne fabriquent ni ne construisent rien, n'écrivent pas, ne chantent pas. Ils n'apportent absolument rien à la société mais vivent à ses crochets en spéculant sur le travail des autres. C'est à dire qu'en amassant des richesses, ils redéfinissent la valeur du travail et des biens : valeur qui n'a pas de lien avec la réalité de ce travail ou la nécessité des biens. Car au fur et à mesure du temps, ces Marchands se sont donner les moyens d'influencer l'évolution des cours, pour être sûr de leurs bénéfices.

Notre civilisation est pour cela radicalement différente de toutes celles qui nous ont précédés, de par la place accordée à la Propriété Privée.

Dans les civilisations précédentes (en gros les 9000 mille dernières années!), les grandes dynasties royales (orientales, extrême-orientales, égyptiennes, et américaines) détruisaient périodiquement les foyers de marchands autonomes qui s'enrichissaient aux dépens de la société et à leurs dépens .
Ces dynasties prélevaient des impôts mais elles étaient légitimes sur ce point car finançaient les grands travaux agricoles (irrigation), organisaient, avec les fonctionnaires et les prêtres, les échanges, dans le pays et avec les pays voisins.
La terre était nationale, personne ne pouvait en devenir propriétaire individuel, par contre l'usufruit, l'utilisation, pouvaient en être collectifs ou individuels.
Ces dispositions rendaient inaliénable la terre et le territoire. La société dans son ensemble était d'accord sur ce principe.

Il ne s'agit pas ici de promouvoir les dynasties mais de mettre en avant une autre conception du monde et de la place de l'humain dans celui-ci.
Notre civilisation a démarré avec les mêmes principes, du fait de l'héritage chrétien.
Mais au fil des siècles, les monarchies européennes ont peu à peu arrêté de ruiner périodiquement ces Marchands, préférant les utiliser pour financer les guerres ou les grands ouvrages.
Avec les Lumières qui portent les idéaux d'émancipation de l'être humain, les Marchands imposent leur droit à la liberté d’entreprise.

La Révolution Française a été l'opportunité pour ces Marchands, devenus notables, d’asseoir leur légitimité. La III ème République (1870-1940) impose finalement les principes républicains mais sous l'égide d'hommes représentant les idées et intérêts des Marchands. Ils sont d'ailleurs baptisés les « Opportunistes » et il est intéressant de noter que cette République est porteuse des trois guerres avec l'Allemagne.


Les bases du droit économique et social français sont écrient à cette période. C'est l'age d'or de la petite propriété.
Cent ans plus tard le capitalisme total a soumis les États.
Ainsi pour la première fois depuis la sédentarisation de l'être humain, des individus s’approprient ce qui jusque là a toujours été considéré comme un bien commun : la terre et les richesses qui en découlent.

Il est temps de faire une pause ici car j'ai quand même utilisé des gros mots ! « Civilisation des Marchands » : mais c'est Marxiste ça !
Et oui ! Mais il est bon de rappeler qu'avant d'être économiste, Karl Marx était historien.
Avant d'avancer les thèses socio-économiques que l'on connaît, il a dressé un bilan de notre civilisation et que l'on soit d'accord ou pas avec ses théories (et ce n'est vraiment pas le sujet ici !) on ne peut remettre en cause la véracité historique qu'il a mis en évidence avec la civilisation des Marchands.

S'interroger sur la propriété privée foncière aujourd'hui c'est donc mettre en question cet état de fait car la nationalisation des terres n'a rien d'aberrant, c'est au contraire réaffirmer un principe qui fait loi depuis l'origine des sociétés humaines.
Car malgré ce que l'on veut nous faire croire aujourd'hui le capitalisme n'est pas un régime politique ; à savoir l'art de vivre ensemble ; mais un système économique ; soit l'art de gérer les biens. Ce sont deux choses totalement différentes. Le capitalisme est un système économique fondé sur la primauté des capitaux privés.

La propriété privée est vécue aujourd'hui comme le summum de la liberté ; mais c'est bien pour les Marchands, que c'est une liberté. Liberté d'accumuler et de spéculer.
La propriété privée a usurpée sa place au sein de notre société, en se faisant passer pour ce qu'elle n'est pas : une liberté individuelle, alors qu'au contraire c'est l'affirmation de la loi du plus fort.

Toute notre organisation sociale est basée sur la capacité (ou non!) de chacun à accumuler des capitaux. Le niveau de cette accumulation dicte la place à laquelle chacun peut ainsi prétendre. Ainsi la qualité humaine se résume à ce qu'elle rapporte. Nous sommes aujourd'hui parqués dans des cases étroites qui occultent totalement la complexité et la sacralité de la vie humaine.

Le capitalisme n'est jamais rassasié, sa raison d'être est de croître sans limites. C'est aussi pour cela qu'il s’accommode si bien du progrès technique et scientifique car la production de nouvelles richesses engendre forcément de nouveaux profits. Dans cette logique, que ces richesses soient utiles ou non à l'humanité n'est pas une question qui se pose.
Le propre du capitalisme est donc de diviser, puisqu'il ne s'agit pas de partager mais d'accaparer. Diviser les individus, les États, les Régions. C'est pourquoi le capitalisme est de nature guerrière, car sous tendu par l’agressivité de l'accaparement.

Mais s'opposer au capitalisme n'est pas s'opposer à l'économie de marché.
L' économie de marché découle des échanges rendus nécessaires par une plus grande spécialisation du travail : Chacun produit un bien spécifique et doit échanger avec les autres pour se procurer les biens qu'il ne produit pas.
Elle naît de la transition entre la vie primitive et la vie civilisée, entre la pré-histoire et l'histoire, entre le nomadisme et la sédentarisation. Mais elle n'a besoin en rien de l'accumulation.
Le capitalisme n'est pas une économie de marché, c'est l'économie des Marchands. Remettre en cause la Propriété Privée signifie donc remettre en cause l'accumulation, pas les échanges.

Notre civilisation arrive aujourd'hui à un tournant majeur car son but est atteint. Les Marchands ont accumulé, accumulé (aujourd'hui les 10 % les plus riches détiennent 86 % de la richesse mondiale) et l'assouvissement de cet objectif ne laisse que deux voies possibles :
soit on rase tout pour relancer le processus de production et d'accumulation (une bonne petite guerre et ça repart !)
soit on change de paradigme, c'est à dire qu'on invente de nouvelles normes de civilité, de savoir vivre ensemble.

Parler de Réforme Agraire peut surprendre mais la réforme agraire libérale est, elle, déjà en marche : la ferme des 1000 vaches nous le montre.
Notre syndicat a donc un rôle essentiel à jouer pour proposer une autre réforme agraire, un nouveau modèle agricole, qui assure notre souveraineté alimentaire et redéfinisse des normes de civilités plus humanistes.
Bien sûr revenir à Marx (encore une fois l'historien et pas l'économiste) peut faire peur à certains mais il est temps que la gauche se décharge de sa culpabilité !
Si nos aînés sont blasés de ces utopies, les plus jeunes, eux, sont enragés face à ce monde qu'on leur a légué !

Nous avons besoin d'imaginer autre chose !
Remettre en cause la propriété privée peut s'imaginer autrement que par la « dictature du prolétariat »!
Parler de retour à la terre peut s'imaginer autrement que par la « révolution culturelle maoïste » !
Le projet de loi d'Aménagement du Territoire et du Cadre de Vie que propose Edgard Pisani dans son « Utopie foncière » peut résoudre la majeure partie des problèmes que nous connaissons aujourd'hui quand à l'accès au foncier et a le mérite d'être prête à l'emploi.

L'utopie est définie dans le dictionnaire par : « un projet d'organisation politique idéale, considéré comme irréalisable ».
« considéré » : nul doute que les mouvements féministes des années 1920 réclamant le droit de vote, les premiers noirs qui ont lancés le mouvement des droits civiques aux États-Unis, pour ne citer qu'eux, ont sûrement dû être qualifiés d'utopistes en leur temps.

Alors qu'attendons nous pour être utopistes !




Clarisse Prod'homme, école paysanne 35

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